Viens chez moi, j’habite dans un château !
Durant le Moyen Âge, certains seigneurs ont une façon bien à eux de se trouver une épouse : ils l’enlèvent, tout simplement ! Parfois, alors même que celle-ci est déjà mariée. La coutume, puisque s’en est une, est ancienne. Vers 862, en visite à la cour royale de Senlis, Baudouin Ier, fondateur de la lignée des Comtes de Flandre, ne trouve par exemple rien de mieux à faire que d’enlever la princesse Judith, propre fille du roi Charles le Chauve ! Avec, il faut le préciser, la complicité active du frère de Judith, futur Louis le Bègue, et probablement de la raptée elle-même. Le couple se marie d’ailleurs secrètement quelque temps plus tard, dans la ville d’Harelbeke. D’abord excommuniés, ils finissent par obtenir l’appui du pape, l’accord du roi et la confirmation de leur mariage. Avec, en bonus et dot, le comté de Flandre ! Une belle affaire que cet enlèvement. Il y en aura d’autres.
Une châtelaine très sexy
Dans les années 1070, Enguerrand de Coucy, fondateur d’une des plus puissantes dynasties du Moyen Âge, et décrit comme un homme aux mœurs dissolues, séduit pour sa part Sibylle de Château-Porcien, pourtant déjà unie au Comte Godefroid de Namur. L’occasion est trop tentante. La belle Sibylle possède, disent les chroniques de l’époque, des appétits pour le moins torrides, et son mari guerroie loin de là, au service de l’empereur Henri IV. Enguerrand de Coucy enlève donc Sibylle, puis l’épouse, ravi de l’aubaine et du tempérament de sa nouvelle compagne qui, à l’instar de Judith de France, ne semble pas avoir opposé beaucoup de résistance. Fureur du Comte de Namur, qui se venge de son rival en tuant ou mutilant certains de ces gens. Il obtiendra aussi l’annulation de son mariage d’avec sa volage épouse, qui n’en était apparemment pas à son coup d’essai. Quant à Enguerrand, il fut d’abord excommunié, puis absous par la grâce d’un de ses cousins évêque ! Pour les rois, les princes, les puissants, les liens sacrés du mariage ne le sont pas toujours.
Embargo sur le mariage
À partir du XIe siècle, le rapt devient aussi un moyen commode pour des jeunes gens, pas toujours nobles, de convoler sans l’accord parental, ou d’épouser au-dessus de leur condition. L’attitude de l’église face à ce phénomène restera longtemps pour le moins ambiguë. Elle se place souvent du côté du jeune couple, face aux nombreuses actions juridiques intentées par les parents ainsi que par les autorités urbaines ou princières. C’est que tout le monde ne voit pas du même œil favorable, ce genre d’enlèvement au sérail qui perturbe un certain statu quo social. Chez nous, une ordonnance de 1540 émise par Charles Quint, impose le consentement des parents jusqu’à vingt-cinq ans pour les garçons et vingt ans pour les filles ! Cela fait longtemps à attendre. Dans la Flandre du XVIe siècle, les juridictions urbaines châtient en outre le rapt avec la plus extrême sévérité, même lorsque la jeune fille avoue être consentante. La peine prévue n’est rien moins que la pendaison ou la décollation ! En tout cas, lorsque aucun accord ne peut être trouvé avec la partie lésée.
Une amourette qui tourne mal
L’acteur, poète et dramaturge français Fabre d’Églantine en sait quelque chose. En 1776, alors qu’il n’est qu’un modeste comédien et n’a pas encore rédigé les paroles de la célèbre chanson « Il pleut, il pleut bergère », il est engagé dans la troupe du théâtre Hébert de Namur. C’est là qu’il rencontre Catherine Deresmond, dit Catiche, qui n’est autre que la fille d’un des directeurs du théâtre ! La demoiselle n’a que quinze ans, mais n’a apparemment pas froid aux yeux ni ailleurs et n’en est pas à son coup d’essai. Fabre d’Églantine s’en éprend et s’enfuit avec elle à Malonne, où il pense pouvoir filer le parfait amour et échapper à la juridiction namuroise. Mal lui en prend. Fait prisonnier avec sa maîtresse par le maïeur du village, il est remis aux autorités namuroises, longuement interrogé et promis à la corde ! L’intercession de ses camarades comédiens auprès du prince Charles-Alexandre de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas, lui vaut heureusement de voir sa peine commuée en un bannissement perpétuel, et a une amende de 734 florins 1 sol 18 deniers. Pas cher payé au bout du compte.
Découvrez plus d’anecdotes dans mon livre L’histoire amoureuse des Belges ! Éditions Jourdan. En vente en librairie, ainsi que sur Amazon, Club, Chapitre…