La fabuleuse histoire de la levrette

La fabuleuse histoire de la levrette

Levrette superstar ? Voilà en tout cas une façon d’aimer qui laisse peu de monde indifférent. Elle fait même partie du top 3 des positions amoureuses les plus appréciées. Pourtant, les approches postérieures n’ont pas toujours été aussi populaires. Pire, elles feront l’objet, des siècles durant, d’une incroyable série de tabous religieux, moraux et même médicaux. Culture, littérature, archéologie, civilisations d’ici et d’ailleurs, traités médicaux, mon nouveau livre, La fabuleuse histoire de la levrette, paru aux éditions La Musardine, brosse les aventures de cette pratique sexuelle injustement décriée. Découvrez-en ci-après un extrait jouissif !

Un peu d’étymologie

Les mots ont un sens. Ils ont aussi une histoire. Certains ont un état civil, et un sexe ! Prenez l’expression levrette qui va nous occuper beaucoup dans cet ouvrage. Son origine dérive, on s’en doute un peu, du nom que l’on donne à la femelle du lévrier depuis la fin du XIVe siècle*. Est-ce par analogie avec la morphologie si particulière de ce chien autrefois utilisé pour chasser le lièvre ? Peut-être. Le lévrier et sa femelle ont en tout cas comme particularité d’avoir le ventre creusé et des pattes fines et interminables. Au point, parfois, de donner un aspect relevé à son arrière-train. Comme les fesses de la crémière dans une partie de sexe à quatre pattes, diront les audacieux ! Pour d’autres auteurs, si l’expression en levrette a pu voir le jour, c’est plus prosaïquement en référence à la façon dont les toutous ont l’habitude de s’accoupler : à la queue leu-leu ! Ce qui laisse entendre que les femmes ont un jour pu être assimilées à des chiennes en rut et les hommes à des cabots libidineux. On notera en tout cas que la formule latine more canino (à la mode des chiens) a longtemps été utilisée pour désigner, et souvent déprécier, cette forme de rétro-copulation.

En lévrier

Curieusement, dans la genèse littéraire de cette position sexuelle, le mâle a peut-être précédé la femelle. En 1655, il n’est en tout cas pas encore question de levrette dans ce qui est considéré comme le premier roman libertin de la langue française, L’École des filles ou la Philosophie des Dames. On peut au contraire y découvrir l’expression « en lévrier » à deux reprises, comme dans l’extrait suivant : « Des baisers, il vint aux attouchements et des attouchements à me mettre le vit au con, et me le fit encore une fois en levrier, le con derrière ». Dès le XVIIe siècle, l’expression « en levrette » déboule toutefois dans la langue française pour désigner autre chose qu’une majestueuse chienne de chasse. On la trouve notamment dans ce passage de La Comtesse d’Olonne, une comédie en un acte (sic) attribuée à Nicolas Racot de Grandval et datée de 1738 : « …mille gens m’ont dit qu’il n’aimait pas le con. Au contraire, on m’a dit qu’il est de la manchette, et que, faisant semblant de le mettre en levrette, le drôle en vous parlant toujours de grand chemin, comme s’il se trompait, enfilait le voisin ».

Pudeurs littéraires

La formule more canino, dont nous parlons ci-dessus, n’est pas la seule locution empruntée à la langue de Cicéron, dès lors qu’il s’agit de désigner la chenille à six pattes ! Du Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, et même au-delà, il est effectivement de coutume de citer les termes et passages scabreux sous le couvert de circonlocutions latines. Plutôt que d’écrire ce genre d’obscénités dans une langue vulgaire, tel le français, on préfère les présenter sous les voiles pudiques du latin scolastique ! Celui-ci a l’avantage de ne pouvoir être compris que des curés, des médecins et des gens instruits, en théorie mieux à même de résister à la tentation de la lubricité. On n’est jamais trop prudent avec le démon de la chair ! C’est ainsi que pour conjurer l’indécence supposée du coït postérieur ou de la sodomie, les lettrés chafouins ont longtemps préféré des expressions telles que a tergo (par-derrière), more ferarum (à la manière des bêtes sauvages) ou paedicatio (coït anal).

Brouette tonkinoise

Mais si certains affectent, par pruderie, de cacher la levrette sous le paravent de la vertu latine, d’autres s’ingénient au contraire à en multiplier les synonymes coquins. On en veut pour preuve la variété incroyable d’expressions qui font aujourd’hui encore référence à cette position amoureuse et à celles qui impliquent généralement une pénétration postérieure. Souvent argotiques, parfois assez crus, ces termes ne manquent pourtant pas d’une certaine poésie ou d’un certain humour. C’est ainsi qu’une levrette quelconque peut se muer en brouette tonkinoise ou thaïlandaise**, voire congolaise ou javanaise, ou encore en triporteur hindou. C’est ainsi également qu’une intromission postérieure peut aussi se muer en cuillères, en 99, en congrès de la vache (dans le Kama-Sutra), en pompe d’Andromaque, en cheval renversé, en coït intercrural, en position du Sphinx ou en cavalière parthe.

C’est pourquoi sodomiser se dit casser la pièce de dix sous, aller au petit ou chez le voisin (quand le partenaire est une femme), prendre du chouette ou du rond, se faire prendre la température, passer par l’entrée des artistes, se faire affranchir la bagouze, aller chez Blanche*** ou au petit guichet, se faire casser l’élastique. Et que partant, on peut calcer, niquer, foutre, enfiler, être grimpé(e), tiré(e), brosser, limer ou se faire brosser, limer ou caramboler en levrette ou par-derrière. Et tant d’autres choses !

https://www.lamusardine.com/l-attrape-corps/15011-la-fabuleuse-histoire-de-la-levrette.html

* Elle était auparavant désignée sous le terme de lévrière.

** Une des innombrables expressions du Kama-Sutra très personnel de Frédéric Dard, alias San-Antonio !

*** En référence à un bordel du même nom, situé 138 boulevard Richard Lenoir, à Paris, dans le XIe arrondissement, apparemment réputé avant-guerre pour ce genre de pratique.

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