Hôtels d’un moment

Hôtels d’un moment

Le berger, ex-maison de rendez-vous bruxelloise des années 30, élégamment reconvertie en hôtel de luxe, n’est pas le seul établissement belge à avoir gentiment viré de bord…el !

Au tout début des années 90, à Bruxelles, dans le quartier Saint-Géry, un studio, aujourd’hui transformé en hôtel de tourisme tout ce qu’il y a de plus classique, recevait encore des clients peu intéressés par les beautés architecturales de la capitale. « Je ne vous apprends rien, nous expliquait alors le patron, qu’ici on ne vient pas avec sa dame ». Ce tenancier fort discret sur ses activités hôtelières refusait de ce fait toute publicité autre que le « bouche-à-bouche », dixit lui-même. L’hôtel en question avait par ailleurs résolument misé sur le luxe et la sobriété. À part les très classiques miroirs aux plafonds, rien dans le décor moderne n’était susceptible de choquer la clientèle aisée et d’âge mûr qui venait s’ébattre ici. Le tenancier veillait aussi au grain parmi sa chalandise : pas de prostitution, ni de pratiques cataloguées de bizarres. Les intéressés étaient fermement priés d’aller (se faire) voir ailleurs.

L’hôtel des amants fidèles

À la même époque, le quartier Léopold était particulièrement connu pour ses nombreux studios et hôtels spécialisés dans le cinq-à-sept entre collègues de travail et navetteurs de passage (la gare du Luxembourg est à peine à un jet de foutre). Le studio L’Intime, qui existe toujours ainsi que son voisin Le Parnasse, recevait ainsi une clientèle d’employés travaillant dans les environs. Le coup de feu débutait apparemment vers midi, seul moment de libre pour la plupart des clients du studio, et cessait tout de même vers 15h. Productivité et burnout n’avaient vraisemblablement pas encore cours en ces temps-là. Mais être amants n’empêchait pas la fidélité. Selon le patron de l’époque, 70% des habitués revenaient toujours avec le même partenaire ! Un couple de sexagénaires y louait pour sa part régulièrement une chambre, non pas pour y batifoler, mais pour y bavarder à l’abri des oreilles indiscrètes. Ici non plus, prostitution et pratiques olé-olé n’étaient, apparemment, pas les bienvenues. Seules concessions d’époque à l’érotisme, quelques photos de nus ici et là, des lumières tamisées et des matelas à eau ! Une nouveauté alors qui amusait, semble-t-il, beaucoup les clients. C’est pratiquement une atmosphère familiale qui régnait à deux pas de là, dans les studios loués à l’heure, par une certaine Madame Irma. Ses chambres coquettes et propres, décorées de quelques fleurs, de draps parfumés à la lavande, étaient parfois équipées d’une baignoire ronde, sans doute pour faire plus facilement trempette à deux !

Reconversions bordelières

Hôtel Espérance : Construit en 1930 dans le plus pur style Art déco, classé en 2008, l’hôtel taverne Espérance est un autre exemple de… réorientation professionnelle. Caché dans une ruelle du centre-ville, ce bâtiment est l’une des dernières réalisations de l’architecte Léon Govaerts. Il a commencé sa carrière comme lieu de rendez-vous pour couples aisés (mais néanmoins illégitimes), puis comme hôtel de passe, avant de s’offrir une nouvelle vie, plus touristique celle-là, en 2009. Les tête-à-tête y sont désormais en principe moins torrides, mais l’ambiance tamisée de sa taverne art déco est toujours aussi romantique. Une chambre meublée dans le style de l’époque a été conservée à l’étage. Les autres affichent une ambiance plus contemporaine.

Le Bord de l’Ô : Ce bar à vin namurois trendy, était à la base une maison tout ce qu’il y a de plus close, à laquelle son nom actuel fait d’ailleurs ironiquement référence. Un ancien vitrail, conservé par les propriétaires actuels, est évidemment tout ce qui reste de l’ancienne activité du lieu, les chambres à l’étage ayant été reconverties en petits appartements. Autre clin d’œil : la rue Notre-Dame, où se blottit ce délicat bar à vin, abritait au Moyen Âge une importante communauté religieuse et faisait partie des « honestes rues » où la présence des femmes communes et notoirement notées de diffame, lisez les prostituées, était en principe prohibée.

Cactus : C’est aussi dans un ancien lupanar que s’ouvrira, en 1972, ce qui était sans doute le premier café alternatif de Bruges. Installé Sint-Amandsstraat, l’endroit est idéalement situé à deux pas de la Grand-Place ! On y vient alors pour savourer un thé à l’hibiscus, un chocolat chaud, une pinte, le tout pour quelques francs, et y écouter des concerts de sitar indien ou y parler d’environnement et d’alimentation. Depuis, Cactus a connu quelques déménagements et organise entre autres un festival rock réputé qui porte son nom.

De Swaene ou De Zwaan (Le Cygne) : Cette très belle maison gantoise du XVIe siècle située au numéro 9 du Quai aux blés (Korenlei), a successivement abrité un bordel pour loups de mer, une brasserie, une taverne. Certains disent qu’elle aurait été construite avec de l’argent destiné à édifier la tour de l’église Saint-Michel toute proche ! Superbement rénovée, la bâtisse est aujourd’hui intégrée à l’hôtel Marriott de Gand. Les deux grands cygnes dorés qui la décorent, rappellent néanmoins son ancienne raison sociale. Au Moyen Âge et durant la Renaissance, les cygnes, faisans, oiseaux exotiques ainsi que les cages et volières, surtout lorsqu’elles sont ouvertes, sont utilisés comme autant d’allégories à l’amour charnel, à l’érotisme et à l’adultère. Utilisés sur une enseigne, ils indiquent fréquemment la présence d’un bastringue ! Dans le tableau de Jérôme Bosch intitulé Le Vagabond, c’est un cygne qui orne par exemple l’enseigne d’une auberge où on ne vient visiblement pas que pour se rincer le gosier.

Le Vagabond, Jérôme Bosch (1450-1516). Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

 

Sources :
– 2 zwanen te Gent. Sur http://www.belgiumview.com
– A.-F. So, Le Bord de l’Ô : humour et générosité. La Dernière Heure, 7 octobre 2011. Sur www.dhnet.be
– Bonneure, Jan, Cactus ‘leven ‘ in Brugge ! Gierik & Nieuw Vlaams Tijdschrift, nr 4 winter 2011. www.gierik-nvt.be
– GILLARD, Pat, Les amours clandestines entre midi et quatorze heures. Le Soir, 9 février 1991. Sur http://archives.lesoir.be/
– Korenlei. Gent mijne stad. Sur http://users.telenet.be/gentmijnestad/
– Ronvaux, Marc, Pudeur et impudeur à Namur. Le Guetteur wallon n°4 2004. Sur http://webapps.fundp.ac.be/bib/pdf/802.pdf
– Vos, Barbara, Meisjes van plezier: De prostitutie te Gent in de zeventiende en de achttiende eeuw
(casus 1775-1795). Sur http://lib.ugent.be
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