Ecce homo
Que sait-on réellement aujourd’hui de la sexualité masculine ? Souvent stéréotypée, animalisée, elle se résumerait au goût des hommes pour la pénétration sans fioritures et le sexe sans états d’âme. Neandertal, sors de ce corps ! Certains dressent pourtant un portrait bien plus nuancé et complexe de la vie sexuelle de l’homme moderne et de ses attentes.
Mais où est donc passée la sexualité masculine ? Naguère survalorisée, encensée, portées aux nues, elle semble peiner aujourd’hui à exister, sauf dans ses aspects les moins reluisants ou les plus triviaux. Tout juste l’homme est-il aujourd’hui autorisé à bander en toutes circonstances, pilules bleues, jaunes ou oranges à l’appui.
L’enquête inédite
C’est bien simple, il a fallu attendre 2010 pour que le sexologue et psychiatre français Philippe Brenot ait l’idée de se pencher sérieusement sur le vécu sexuel intime des mâles hétérosexuels. Personne n’y avait jamais pensé avant lui. Et cela alors que le premier rapport Hite pour les femmes, dont l’objet était identique, date lui de 1976 ! Résultat, pour la première fois sans doute, plus de deux mille hommes en couple, via un questionnaire en ligne anonyme, ont pu décrire ce qu’ils ressentent lors de l’orgasme ou de la pénétration, dire leurs craintes, leurs fantasmes et leurs insatisfactions sexuelles, leur rapport aux préliminaires, à la masturbation et à leur partenaire. Bref, parler d’eux et de leur sexe. Le tout sans tabous, parfois crûment ou avec humour, souvent avec tendresse et une certaine fragilité. De quoi remettre en question un certain nombre de mythes sur ce mâle dominateur, sûr de soi en matière sexuelle et uniquement préoccupé de sa satisfaction égoïste. « Les enseignements de cette étude sont nombreux aux plan des opinions personnelles, mais aussi des comportements dont nous n’avions pas connaissance » souligne d’ailleurs Philippe Brenot. « Ces témoignages sont également très étonnants de proximité, de véracité, d’émotion. Ils dessinent ainsi le portrait d’un homme qui a profondément évolué depuis quelques décennies et dont les jeunes générations montrent à quel point elles sont attentives à leur partenaire, à leur compréhension du couple, à l’évolution des mœurs et des valeurs ».
Orgasme, es-tu là ?
Le premier enseignement de cette enquête concerne évidemment la fréquence de l’orgasme masculin. Qui a dit 100% ? Pas du tout ! Les hommes jouissent, oui mais pas toujours de façon aussi systématique qu’on le prétend. S’ils sont 68% à prendre leur pied à chaque rapport, le tiers restant n’a pas d’orgasme chaque fois qu’il éjacule et rentre donc bredouille du septième ciel. Mais c’est dans la description de cette jouissance que les hommes interrogés surprennent. Décharge d’énergie, chaleur, feu d’artifice, plénitude, multiples sensations corporelles, sont les impressions qui reviennent le plus souvent parmi beaucoup d’autres parfois très poétiques. Il y a en a même qui entendent de la musique au moment suprême ! Philippe Brenot lui-même n’en revient pas de tant de précisions, de franchise et de détails jusqu’ici inconnus. Le sexologue français ne peut s’empêcher de s’exclamer, dithyrambique : « Leur description est magistrale, exemplaire, témoignant de la richesse extrême d’un vécu intérieur qui ne leur est jamais donné d’exprimer. Il révèle aussi la grande sensibilité de la plupart d’entre eux à ressentir leur corps, ce qui est à l’opposé du stéréotype masculin d’un homme sensible et peu communicant. Il aura suffi, ici, de leur donner la parole et de les laisser s’exprimer ».
Masturbation Prozac
Bonne nouvelle, les hommes commencent donc apparemment à se livrer sur leur vie intime et le contenu de leur armoire à fantasmes. Leurs confidences par rapport à la masturbation en sont d’ailleurs une autre belle illustration. Et encore plus sur les raisons qui les poussent à y recourir. Car si on connaît depuis longtemps la proportion de la moitié masculine de l’humanité qui avoue pratiquer l’auto-érotisme, et la fréquence à laquelle elle s’y consacre, on ignore par contre tout des raisons qui les poussent à se glisser la main dans le caleçon. Selon Philippe Brenot, ce serait même le secret le mieux gardé de l’univers ! L’univers masculin s’entend. « La presque totalité des hommes se masturbent et ils n’en disent jamais rien, n’en parlent que rarement à leur partenaire – s’ils l’ont dit une fois pour 50 à 60% d’entre eux- ne se confient qu’exceptionnellement en thérapie, ou chez leur médecin, uniquement, et je dis bien uniquement, si on leur demande expressément et directement ». Alors, pourquoi les hommes se masturbent-ils ? Pour le plaisir ? Oui, pour 40% d’entre eux, révèle l’enquête. Comme compensation aussi, lorsqu’ils ne peuvent s’envoyer en l’air avec Madame, pour 10% d’entre eux. Mais la raison principale est ailleurs. Si les hommes sont aussi nombreux à recourir aux plaisirs solitaires, c’est surtout pour leurs effets anxiolytiques ! Près de la moitié des participants de l’échantillon disent ainsi se titiller Popaul pour évacuer les tensions, dépasser des angoisses ou éliminer le stress. Et on suppose que ça marche, puisqu’ils y recourent aussi souvent !
Pubis superstar !
Plus généralement, les hommes de cette enquête montrent une étonnante propension à songer au plaisir et au bien-être de leur compagne. Et aussi à faire mentir le mythe qui veut que l’homme au lit n’espère que du sexe. Même s’il a encore du mal à cerner les attentes de sa partenaire en la matière. Non seulement les mâles sont-ils 92% à se dire amoureux de leur conjoint, mais ils sont aussi une majorité à lier galipettes et sentiments ! « Je veux du sexe et du sentiment », clament ainsi de nombreux hommes de l’enquête. Quand ce n’est pas : « Je veux que le sexe et les sentiments perdurent toute la vie ». Autre détail stupéfiant, toujours par rapport aux stéréotypes en vigueur, l’admiration quasi sans bornes qu’ils vouent au sexe de leur chère moitié, peut-être pas de façon tout à fait désintéressée cela dit. « Ils ne cessent d’en faire des louanges, de l’aimer, de le glorifier, de l’aduler comme s’il était le centre du monde ou plutôt parce que pour beaucoup d’entre eux, il Est le centre du monde », confesse Philippe Brenot. Et de fait, 88% des hommes interrogés trouvent le sexe de leur compagne beau, commentaires laudatifs à l’appui. Et 87% lui trouvent même bon goût ! Alors qu’ils ne sont que 71% à estimer avoir un pénis avenant. Cette admiration s’amplifie même avec l’âge. Chez les plus de 50 ans, ils sont ainsi 90% à porter le sexe de leur partenaire aux nues. Le culte du grand dieu zob semble avoir définitivement vécu pour peu qu’il ait réellement existé dans l’esprit des hommes.
Hors-d’œuvre au menu
Mais nous ne sommes décidément pas au bout de nos surprises. Car, autre sujet d’étonnement, l’enquête française fait désormais aussi mentir la réputation masculine du fornicateur impatient d’en arriver au coït. Ainsi, ils ne sont plus qu’une minorité à ne pas savoir ce que le mot préliminaires veut dire. Sans doute des cas désespérés ! Mieux, la plupart des hommes ont désormais une idée très positive de ce genre pratique coquine, même s’ils ne les font pas encore durer aussi longtemps que nécessaire. Beaucoup en sont même venus à penser que les préliminaires font partie intégrante du plat principal ! Seul bémol, tout de même. Ils sont une majorité (56%) à recourir aux prémices et à les faire durer dans le but principal de « préparer madame ». Il y a de l’espoir ceci dit. Car les jeunes générations d’hommes semblent désormais aussi envisager les préliminaires comme moment de plaisir partagé !
Plus de sexe SVP !
Alors, heureuuuux au lit et en amour, les hommes ? Oui, enfin pas tout à fait quand même. L’homme moderne ressent cependant comme une certaine anxiété sous la couette. Ils sont ainsi 54% à craindre de décevoir sexuellement leurs partenaires ! Leur aurait-on mis un peu trop la pression ? On sent également poindre une assez large insatisfaction sexuelle. La preuve ? À la question, la fréquence à laquelle vous faites l’amour est elle suffisante pour vous, ils sont 63% à répondre non, et cela quelle que soit la fréquence à laquelle ils s’envoient effectivement en l’air. Exemple, ce jeune maraîcher de l’enquête qui avoue 25 relations par mois, et qui se dit pourtant très insatisfait. Il souhaiterait en avoir 60 ! Toujours en manque, les hommes n’auraient peut-être pas changé tant que cela ? Comme le révèle l’enquête, ils n’en restent pas moins attentifs aux désirs de leur partenaire, du moins un nombre croissant d’entre eux. Près de la moitié disent d’ailleurs comprendre l’attitude de leur compagne lorsque celle-ci refuse de faire l’amour, pour 46% de frustrés et seulement 5% d’hommes en colère. Même morts de faim, ils sont même une moitié à accepter de ne pas faire l’amour durant un mois, autant dire un siècle dans l’esprit d’un homme !
Source :
Les hommes, le sexe et l’amour. Philippe Brenot. Ed. Poche Marabout.