Le fléau de l’onanisme

Le fléau de l’onanisme

Guerre contre la masurbation
Caricature de la reine Hortense. Anonyme, vers 1810. Crédit : Rijksmuseum

Haro sur la masturbation ! Comme dans toute l’Europe du XIXe siècle, la Belgique part en guerre contre le fléau de l’onanisme. Surveillance permanente, camisoles de force, régimes alimentaires adaptés… sont préconisés pour dissuader les récalcitrants !

Vice, péché, névrose, l’histoire de la masturbation est une longue suite de condamnations en tous genres. Les Anciens, qui font du sperme le siège de la puissance virile, voient déjà d’un mauvais oeil cette pratique d’autosatisfaction, qui ne peut contribuer, selon eux, qu’à affaiblir son homme. Cela ne s’arrange guère avec l’Église qui fait quant à elle de ce genre de mano à mano un péché à part entière, bien moins grave cependant que la sodomie, l’adultère ou les pratiques bestiales. Au Moyen Âge, une simple pénitence de dix jours au pain sec et à l’eau frappe celui ou celle qui a laissé égarer sa main en quelque endroit intime, là où le crime d’adultère est frappé de sept années de pénitence. L’obsession anti masturbatoire débute surtout à partir du XVIIIe siècle : intellectuels, médecins, moralistes, tous poursuivent assidûment ce qu’ils nomment le fléau de l’onanisme. Les remèdes proposés par les spécialistes de l’époque ont de quoi faire frémir : surveillance permanente, camisoles de force, régimes alimentaires adaptés, dissuasion par l’exercice physique quotidien, et même, chez certaines femmes jugées irrécupérables, ablation du clitoris !

fléau de l'onanisme
Harnais anti-masturbation : modèle pour garçon et fillette. Crédit Wellcome Trust.

Voici par exemple ce que conseillait un certain Martin Schoenfeld, médecin à Charleroi vers 1839 : On réussit généralement bien avec des enfants douces et d’un caractère soumis et chez celles qui vivent de fleurs et de poupées, par l’emploi d’une surveillance active, par l’occupation de l’esprit et une distraction convenable et continuelle et l’usage de bains de siège frais, souvent répétés ; mais il n’en est pas de même chez des enfants indociles, surtout quand la clitorimanie se présente avec des accès fréquents. Il faut alors des moyens plus efficaces pour prévenir les attouchements et surtout le frottement des cuisses. […] Les meilleurs moyens consistent en une surveillance infatigable et sévère, et si l’emploi des révulsifs intellectuels, la contrainte et les menaces ne réussissent pas, il faut, sans crainte, avoir recours, toutefois quand l’état physique le permet, aux révulsifs corporels, c’est-à-dire à la verge, chaque fois que l’enfant cherche à se masturber.

Drôle de presbyte

On prête à l’époque toutes sortes de conséquences négatives à la masturbation : elle rendrait sourd, provoquerait vertiges, mélancolie, stupidité, impuissance… Mais la masturbation ne rend pas seulement sourd, elle affecte par exemple aussi gravement la vue ! En 1842, un certain Dr. Florent Cunier, médecin oculiste à Bruxelles, peut ainsi encore écrire d’un de ses patients, en traitement depuis six mois, qu’il souffre d’amaurose asthénique (perte de vision) suite d’excès de masturbation ! Et d’ajouter : … il ne pouvait plus déchiffrer que le gros caractère d’affiches ; il ne sortait plus qu’avec un guide, bien qu’il eût abandonné sa funeste habitude, la perte de la vue avait résisté à tous les moyens employés.

La masturbation, péché mortel !
L’excès de plaisirs solitaires nuit gravement à la santé ! Ici, stade ultime de la « maladie ». Crédit : Wellcome Trust.

Halte à la masturbation sur le front !

La guerre contre la masturbation ne s’arrête pas avec le début du premier conflit mondial, loin de là. Une question taraude en effet prêcheurs et moralistes en tous genres : comment éloigner les poilus belges des dangers de l’onanisme, alors qu’ils sont loin de leurs épouses et parfois même de ces éternelles auxiliaires militaires que sont les prostituées ? Frans Daels, médecin militaire flamand cantonné sur le front de l’Yser, prend le problème à pleines mains. En 1918, il publie un petit livre intitulé Voor onze jongens (Pour nos hommes) dont le contenu effrayant doit détourner les jeunes appelés de cette détestable habitude manuelle. Le bon docteur y décrit l’auto-érotisme comme un péché pour l’âme et une calamité pour le corps, menant à de graves troubles nerveux et mentaux, à une descendance débile et dégénérée ! Il y exhorte dans la foulée les jeunes hommes à développer leur force de caractère pour échapper à la terrible tentation masturbatoire : … Entraînez votre corps à résister en vous adonnant à d’énergiques douches froides. Maintenez votre chair et tout particulièrement vos organes génitaux aussi purs que possible, de façon à ce qu’aucune stimulation ou prurit malsain ne vous fasse progresser vers le vice de la masturbation.

Frans Daels
L’opuscule anti-masturbation de Frans Daels. « Pour être fort, sois pur « ! Crédit : Universiteits bibliotheek Gent.

Un best-seller anti masturbation

Valait-il mieux être sourd que d’entendre cela ? L’opuscule de Daels connut en tout cas un remarquable succès et fut tiré à plus de 75 000 exemplaires ! Il sera aussi réédité jusqu’aux années 40. Son auteur, devenu gynécologue dans l’intervalle, connut par contre de sérieux ennuis, puisqu’il fut condamné à mort par contumace en 1946, pour collaboration. Il aida notamment l’occupant à dénicher du personnel qualifié pour un des deux lebensborn belges. Treize ans plus tard, il fut cependant autorisé à rentrer en Belgique et à rependre sa pratique médicale et qui sait, sa croisade contre la menace de l’auto-satisfaction.

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