Carré blanc sur écran blanc
Le cinématographe, quel tempérament ! Un an après sa naissance officielle, en 1895, ce petit déluré se paye en effet déjà ses premières scènes de sexe ! Et s’attire par la même occasion la réprobation des esprits bien-pensants et de la censure. Précoce non ?
Entendons-nous bien, les scènes torrides d’alors feraient s’endormir d’ennui un puceau de 30 ans sous perfusion de Viagra. N’empêche, le premier baiser à l’écran, filmé en 1986 pour le bien nommé film The Kiss, déclenche une vraie polémique. Un journaliste du Chicago Tribune demande même l’intervention de la police contre ce qu’il qualifie d’obscénité. L’année 1896, c’est aussi celle du premier strip-tease, dans le film Le coucher de la mariée. Le premier nu masculin de face sera filmé en 1912 à peine, dans Dante’s Inferno. Et il faudra attendre pas moins de cinquante-sept ans pour revoir un homme nu à l’écran. La première scène de nu intégral féminin date, quant à elle de 1916, et mettait en scène l’actrice et nageuse professionnelle australienne Annette Kellerman dans A Daughter of the Gods, alias La fille des dieux.
Cachez ce train
Mais la censure veille au grain. Elle apparaît dès 1907 aux États-Unis et en 1909 en Angleterre et en France. Du coup, deux circuits parallèles se développent déjà. Le cinéma grand public où la nudité et le sexe sont suggérés, et le cinéma érotique, clandestin et de mauvaise qualité. Côté grand public, la tentation est pourtant grande de montrer plus qu’il n’est permis. Le sexe fait déjà de l’audience. Pour passer outre la censure, les réalisateurs usent et abusent donc des transparences et des ombres. Erich von Stroheim, qu’Hervé Bazin appelait le marquis de Sade du cinéma, multiplie ainsi les scènes d’amour au clair de lune. Pas vu, pas pris ! Pour montrer davantage qu’une épaule dénudée, il faut aussi un alibi, par exemple celui d’une société décadente ou primitive appartenant au passé. Corsetés par le fameux code Hays, qui limite ce qu’on peut voir à l’écran et qui sera appliqué de 1934 à 1966, les réalisateurs américains rivalisent aussi d’ingéniosité. Les décolletés trop plongeants sont interdits ? Qu’à cela ne tienne. Les actrices développent des poitrines de plus en plus fortes, comme Jane Russel ou Mae West, qui va donner son nom au gilet de sauvetage des aviateurs américains ! Même complètement vêtues, on ne voit que ça ! Ce petit jeu de cache-cache, à coup de métaphores et d’allusions coquines, va durer assez longtemps. En 1959, dans La Mort aux trousses, Alfred Hitchcock fait par exemple suivre la scène où Cary Grant et Eva Marie Saint s’enlacent dans un wagon par un plan montrant un train entrant dans un tunnel ! Sexplicite, non ?
Éros au box-office
Mais les choses changent sous les coups de boutoirs de la libération des mœurs. En 1965, Le Prêteur sur gages, de Sidney Lumet, est le premier film produit par un grand studio à montrer des seins nus. Un nouveau genre de productions voit aussi le jour aux États-Unis : les nudies. Ce sont les premiers films déshabillés, dont le pape incontesté est le cinéaste Russ Meyer, connu pour son goût immodéré pour les actrices aux seins sur-développés et ses films à succès comme Vixen et Supervixens. Grande nouveauté, ces longs-métrages érotiques tranchent par rapport à la production qui circule sous le manteau. Pour la première fois, ils disposent d’un scénario, rudimentaire certes, mais d’un scénario quand même. Malgré une résistance acharnée, la censure et les bonnes mœurs craquent de toutes parts. Des films érotiques, voire presque pornographiques, cartonnent même pour la première fois au box-office avec des scores comparables aux blockbusters de l’époque. En 1976, L’empire des sens fait par exemple 515.000 entrées sur Paris et sa périphérie ! Le film Emmanuelle devient un grand succès international et restera à l’affiche sur les Champs-Élysées pendant près de… treize ans, avec des sous-titres en anglais pour les touristes ! Des salles de cinéma X se créent par dizaines. L’arrivée de la vidéo, plus tard du DVD et d’Internet, sonnera pourtant le glas de cette forme de commercialisation. Aujourd’hui, les scènes de nus sont devenues courantes dans les films sans parler des séries. Plus de quoi fouetter une chatte !
Dialogues croustillants
Même quand ils ne montrent pas grand chose, les dialogues de certains films en suggèrent beaucoup. Et il ne faut pas avoir l’esprit mal tourné pour y voir des allusions à peine voilées ! « C’est le moment de fourrer la dinde » peut-on ainsi entendre dans Amours troubles avec le beau Ben Affleck et la non moins belle Jennifer Lopez (la dinde ?). Autre sous-entendu, sexuel et culinaire entendu cette fois, dans » Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant « : Essaye la queue Albert, c’est fin et tu sais d’où ça vient ! Ce n’est pas l’avis d’une des James Bond girls de Goldfinger à qui l’on fait dire : Désolée, je ne peux pas répondre, quelque chose d’énorme vient de se faufiler par ici. Le mot de la fin ? Laissons-le à une réplique cultissime d’un film tout aussi cultissime, le Dernier tango à Paris : « Va chercher le beurre » !